Le roi Salomon a-t-il agi comme arbitre, juge, ou médiateur?

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Je me saisis du récit biblique tiré du Premier livre des Rois, chapitre 3, versets 16 à 28, pour vous suggérer des critères de distinction entre l’arbitre, le juge étatique et le médiateur. Les faits du récit sont les suivants :

Deux femmes qui vivaient seules dans une maison, ont accouché, chacune d’un garçon, à trois jours d’écart. L’une d’entre elles avait étouffé son enfant dans leur sommeil. Un conflit de maternité s’est alors élevé autour de l’enfant vivant, conflit porté devant Salomon, roi d’Israël (de 970 env. à 931 avant Jésus-Christ selon La Bible de Jérusalem). Après avoir écouté les parties, c’est-à-dire les deux mères, Salomon rend deux décisions distinctes, que vous pouvez lire, ci-dessous.

En rendant ces décisions, Salomon a-t-il agi comme arbitre, juge, ou médiateur ?

Salomon a rendu une décision. Le médiateur ne rend pas de décision. Rendre une décision est l’apanage de l’arbitre et du juge étatique.

Leur posture dans le processus de règlement des litiges, déterminée par la teneur de leurs pouvoirs, permet de distinguer le médiateur de l’arbitre et du juge. Le médiateur ne rend pas de décision mais crée les conditions qui permettent aux parties d’arriver à la solution qui leur paraît optimale. Le médiateur ne départage pas. Or Salomon a bel et bien départagé 😊, dans l’une comme dans l’autre décision. Salomon n’a donc pas agi en médiateur.

Quant à l’arbitre et le juge qui ont à peu près la même posture, ils se distinguent par la source de leurs pouvoirs.

Le pouvoir de juger de Salomon lui venait de sa fonction royale qui était un pouvoir suprême et plénier. La fonction de juger de Salomon est exercée aujourd’hui, avec la séparation des pouvoirs, par le juge étatique qui tient son pouvoir de la loi et rend la justice au nom du peuple. Le peuple le saisit donc librement. L’arbitre quant à lui, tient son pouvoir des parties ; c’est pourquoi, il doit le prouver, et l’une des preuves possibles, est la convention d’arbitrage écrite qui se présente sous forme de clause compromissoire ou de compromis. En d’autres termes, si ce conflit s’était élevé aujourd’hui et que les deux femmes souhaitaient un arbitrage, elles devraient donner pouvoir à un tiers au moyen d’une convention d’arbitrage. Le pouvoir des arbitres peut être fondé également sur un instrument relatif aux investissements, notamment un code des investissements ou un traité bilatéral ou multilatéral relatif aux investissements.

Pour en revenir aux faits de cette cause, l’on peut s’interroger sur l’arbitrabilité d’un tel litige et à ce propos, je vous suggère le lien ci-après: Quels sont les #litiges que vous pouvez régler par l’#arbitrage ?.

En guise de conclusion sur la réponse à la question en discussion, il est clair que Salomon a agi comme juge « public » et non comme juge privé (arbitre). À ce titre, il a rendu deux décisions : un jugement avant dire droit ou avant faire droit et un jugement définitif.

Il est à noter que le jugement avant dire droit de Salomon « Partagez l’enfant vivant en deux et donnez la moitié à l’une et la moitié à l’autre » (verset 24) paraît plus célèbre que son jugement définitif «Donnez l’enfant vivant à la première, ne le tuez pas. C’est elle la mère » (verset 27).  En effet, ce jugement avant dire droit dont la teneur était le partage (au sens propre) de l’enfant ressemblait tellement à un jugement définitif que l’horreur a pu ne pas inciter le lecteur de la Bible à aller plus loin dans le texte. En persévérant dans la lecture avec foi et courage, l’on s’aperçoit que ce jugement n’était pas un jugement définitif mais bien un avant dire droit qui avait pour but de préparer la véritable instruction de la cause, l’accouchement de la vérité, afin de conduire au jugement définitif.

Si l’arbitre, le juge et le médiateur ont des postures différentes, ils ont cependant des qualités communes que sont l’indépendance, l’impartialité et la neutralité.

Pour en savoir un peu plus sur l’arbitre, c’est ici, Faisons connaissance avec les arbitres s’il vous plaît !

Je n’ai pas épuisé le sujet et ce serait avec plaisir que j’accepterai vos compléments.

Extrait du premier livre des Rois, Bible

1 Rois 3, 16 Alors deux prostituées vinrent vers le roi et se tinrent devant lui.

1 Rois 3, 17 L’une des femmes dit: « S’il te plaît, Monseigneur! Moi et cette femme nous habitons la même maison, et j’ai eu un enfant, alors qu’elle était dans la maison.

1 Rois 3, 18 Il est arrivé que, le troisième jour après ma délivrance, cette femme aussi a eu un enfant; nous étions ensemble, il n’y avait pas d’étranger avec nous, rien que nous deux dans la maison.

1 Rois 3, 19 Or le fils de cette femme est mort une nuit parce qu’elle s’était couchée sur lui.

1 Rois 3, 20 Elle se leva au milieu de la nuit, prit mon fils d’à côté de moi pendant que ta servante dormait; elle le mit sur son sein et son fils mort elle le mit sur mon sein.

1 Rois 3, 21 Je me levai pour allaiter mon fils, et voici qu’il était mort! Mais, au matin, je l’examinai, et voici que ce n’était pas mon fils que j’avais enfanté! »

1 Rois 3, 22 Alors l’autre femme dit: « Ce n’est pas vrai! Mon fils est celui qui est vivant, et ton fils est celui qui est mort! » et celle-là reprenait: « Ce n’est pas vrai! Ton fils est celui qui est mort et mon fils est celui qui est vivant! » Elles se disputaient ainsi devant le roi

1 Rois 3, 23 qui prononça: « Celle-ci dit: Voici mon fils qui est vivant et c’est ton fils qui est mort! et celle-là dit: Ce n’est pas vrai! Ton fils est celui qui est mort et mon fils est celui qui est vivant!

1 Rois 3, 24 Apportez-moi une épée », ordonna le roi; et on apporta l’épée devant le roi,

1 Rois 3, 25 qui dit: « Partagez l’enfant vivant en deux et donnez la moitié à l’une et la moitié à l’autre. »

1 Rois 3, 26 Alors la femme dont le fils était vivant s’adressa au roi, car sa pitié s’était enflammée pour son fils, et elle dit: « S’il te plaît, Monseigneur! Qu’on lui donne l’enfant vivant, qu’on ne le tue pas! » mais celle-là disait: « Il ne sera ni à moi ni à toi, partagez! »

1 Rois 3, 27 Alors le roi prit la parole et dit: « Donnez l’enfant vivant à la première, ne le tuez pas. C’est elle la mère. »

1 Rois 3, 28 Tout Israël apprit le jugement qu’avait rendu le roi, et ils révérèrent le roi car ils virent qu’il y avait en lui une sagesse divine pour rendre la justice.

(1 Rois 3, 16-28)

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Cotonou, le 05 août 2019

Elvire VIGNON, Arbitre et Médiateure, Avocate honoraire

Centre EV Arbitrage & Médiation, Cotonou, Bénin

#Arbitrage #Médiation #Litige #Conflit #Différend #Paix #Sérénité

 

6 commentaires

  1. Maître,
    Je viens de retrouver mon cours sur la Procédure 1 à l’Uqam. Comme prévu, j’ai commencé le baccalauréat. Dès le début j’ai reconnu les PRD. Vu la fonction de Salomon, c’et clair qu’on était pas en droit privé…😜
    J’ai apprécié votre développement.
    L’approche juridique est sans faille.
    Je me suis dit, si c’était aujourd’hui, Salomon allait procéder aux expertises scientifiques pour les départager. Comme le test ADN…

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    1. Merci pour votre visite sur mon blog, Père Sylvain. Merci pour vos bons mots également.
      Oui, aujourd’hui, un test ADN aurait été certainement demandé. Mais j’ai vu aussi un juge trancher une question de paternité juste en mettant côte à côte la photo du père décédé et celle de l’enfant qui avait engagé l’action. … Des fois, des moyens du bord peu coûteux règlent les questions, et c’est heureux…

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  2. C’est une publication des plus instructives. Merci de l’avoir partagé avec nous. Pourrais-je ajouter que Salomon n’était pas dans la posture d’un médiateur, dans la mesure où , le différend a été ,,porté,, devant lui ? Sachant le médiateur se propose lui même aux parties pour Les ammener à la table des négociations.

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    1. Merci pour votre commentaire. À mon avis, le médiateur est habituellement saisi par une partie avec ou sans convention de médiation.
      Il arrive que le médiateur se propose. Mais ce n’est pas le mode courant pour un professionnel de la médiation. Ce sera peut-être le cas pour un service d’ami. Peut-être aussi faites-vous référence aux médiations médiatisées qui ne sont en général pas celles de professionnels de la médiation…

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  3. Cet article est plus qu’intéressant. Quelques idées… Je rebondis sur un point : le jugement avant-dire droit est plus célèbre que le jugement définitif. Mais pouvait-il en être ainsi si celui-ci ne s’apparentait pas un jugement sur le fond ? Salomon en effet donnait l’impression de trancher déjà (c’est ce qu’il ordonne d’ailleurs au sens propre) le fond du différend par ce qui ne sera compris que plus tard seulement comme un ADD. Strictement en procédure, cela ne devrait pas être le cas et est discutable, que l’ADD soit préparatoire ou interlocutoire (suivant les anciennes formules). En arbitrage par contre, les « pré-décisions » semblent être plus facilement admises. Ainsi, le calendrier de procédure est discuté avant d’être rendu sous forme d’ordonnance, la question de la bifurcation est parfois réglée avant l’ordonnance y relative. Sur le fond également, certaines mesures d’instruction ne peuvent être prises que lorsque le tribunal a rendu une sentence partielle. Le jugement n 37/18/CJ/SI/TCC du 1er juin 2018 du tribunal de commerce de Cotonou va également dans ce sens, mais peut paraître discutable à cet égard…

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