Un avocat chrétien peut-il accomplir son devoir de sainteté?

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J’ai le plaisir de partager avec vous ce devoir, écrit au début de mon cursus d’étudiante en droit canonique qui s’est déroulé de septembre 2012 à décembre 2015 en même que j’exerçais le métier d’avocat.

Introduction : les mauvaises idées sur les avocats

Au Bénin, les mauvaises langues soutiennent que les avocats décédés sont inhumés face contre terre au motif que leur vie professionnelle est tellement tissée de mensonges qu’il leur est impossible d’être tournés vers le ciel, même morts !!! Il se susurre aux Etats-Unis que jeter cinq mille avocats à la mer, constituerait le début du développement. Ces propos suggèrent qu’il existe une incompatibilité entre la qualité d’avocat et celle de croyant et que par ailleurs l’avocat n’est pas vecteur de progrès. C’est pourquoi nous nous sommes demandé si un avocat chrétien pouvait remplir son devoir de sainteté c’est-à-dire s’il était concerné par l’appel universel à la sainteté.

Avocat saint

Pour répondre à cette question, nous examinerons les conditions du cheminement vers la sainteté puis nous verrons si les devoirs de l’avocat sont compatibles avec ceux de ce cheminement.

1.      Les avocats sont-ils concernés par l’appel universel à la sainteté ?

Sous ce titre, il sera rappelé la définition et le cadre de la sainteté puis indiqué les personnes concernées et les moyens pour y parvenir.

La sainteté est définie par l’Eglise catholique comme étant « l’union parfaite avec le Christ »[1].

Il est également précisé que le cadre dans lequel les fidèles peuvent acquérir la sainteté est l’Eglise,  par la grâce de Dieu[2].

La voie de la sanctification est ouverte à tous ceux qui croient au Christ et l’imitent en se distinguant par « l’éclat de leur charité et des autres vertus évangéliques »[3].

La voie de la sanctification est donc ouverte. Cependant, s’y engager n’est pas une faculté mais un devoir, une obligation ainsi que l’édicte le canon 210 du code de droit canonique.

Sur cette voie, les fidèles ont le droit d’être accompagnés par la Parole et les sacrements (canon 213) que les pasteurs sacrés ont l’obligation de leur accorder dans les conditions prévues.

Les sacrements reçus obligent aussi à des devoirs. En effet, les termes du canon 840 du code de droit canonique nous paraissent présenter les sacrements comme un viatique et non comme un diplôme.

Les laïcs sont concernés par tout ce qui précède. Cependant, comme ils font partie de la masse la plus large des fidèles, ils ont le devoir particulier de sanctifier leur cadre quotidien ; ils doivent faire preuve d’un « engagement généreux »[4].

Nous le voyons bien, tous les fidèles peuvent et doivent se mettre en route pour la sainteté.  Cependant ce devoir d’apostolat (canon 211) doit s’exercer dans la communion avec l’Eglise (canon 209 § 1).

Il convient de préciser que la communion avec l’Eglise ne signifie pas que les activités professionnelles ou plus largement quotidiennes non religieuses doivent être accomplies en tant que chrétien. Il suffira d’agir en chrétien. C’est ce que nous comprenons de la doctrine de la foi lorsqu’il est rappelé par exemple que :

–          « Jean-Paul II a maintes fois répété que ceux qui sont engagés directement dans les instances législatives ont «une obligation précise de s’opposer» à toute loi qui s’avère un attentat contre la vie humaine »[5] ;

–          « la conscience chrétienne bien formée ne permet à personne d’encourager par son vote la mise en œuvre d’un programme politique ou d’une loi dans lesquels le contenu fondamental de la foi et de la morale serait évincé »[6]

Dès lors que les avocats, fidèles de l’Eglise, sont prêts à agir dans les conditions qui précèdent, ils sont les bienvenus sur le chemin de la sainteté d’autant plus que leurs obligations professionnelles sont compatibles avec celle des chrétiens et plus spécialement des catholiques. Dans le cadre de ce travail, les termes « chrétien » et « catholique » sont synonymes.

2.      La compatibilité entre la qualité d’avocat et celle de catholique

La compatibilité sera discutée à travers les devoirs comparables attendus de l’avocat et du chrétien. Pour mieux apprécier les devoirs de l’avocat, nous résumerons la mission qui lui est dévolue.

La mission d’un avocat est de proposer des solutions juridiques à toute personne qui le sollicite. Pour répondre à cet appel, l’avocat défend ses clients devant les juridictions étatiques et arbitrales, donne des conseils ou répond aux demandes d’avis, assiste ses clients dans les médiations, assiste et représente ses clients dans les négociations diverses, reçoit des pièces et des fonds, etc.

La mission est délicate et sérieuse, c’est pourquoi, elle est réglementée. Ainsi au Bénin, elle n’est exercée que dans le cadre d’un ordre professionnel par des personnes qui ont juré « de ne rien dire ou publier, comme défenseur ou conseil, de contraire aux lois, aux règlements, aux bonnes mœurs (…) »[7]. Il s’ensuit que l’avocat a essentiellement une obligation de dévouement, de dignité, d’indépendance et de délicatesse envers la clientèle, de confraternité envers les autres avocats, de respect envers les magistrats, d’exactitude et de diligence envers les tribunaux.

Seules les obligations de dévouement, de dignité et de confraternité seront discutées, les autres étant contenues dans celles-ci.

2.1. L’exécution de l’obligation de dévouement rejoint l’accomplissement du devoir d’apostolat

L’obligation de dévouement exprime la conscience avec laquelle l’avocat doit traiter la demande de son client. Cette obligation recouvre les devoirs de conseil, de prudence et de diligence.

Ainsi lorsque l’avocat explique à son client qu’il est de son intérêt d’exécuter une décision de justice assortie d’astreintes comminatoires prononcées à son encontre, il se montre dévoué. C’est le cas également de l’avocat qui exerce les voies de recours contre un jugement rendu à l’encontre de son client, afin d’éviter la forclusion, alors même qu’il n’a pas pu joindre son client malgré tous ses efforts. Il en est de même de  l’avocat qui, alors qu’il est fermement instruit par son client d’engager une action contentieuse devant les tribunaux, parvient à le convaincre de régler la cause à l’amiable.

Dans les pays où les juridictions criminelles prononcent encore la peine de mort, c’est dans les yeux de son client condamné à la prison à perpétuité que l’avocat sait qu’il s’est dévoué.

Toutes ces marques de dévouement, cette succession de soins accomplis par l’avocat pour satisfaire le client, visent la perfection des réponses de l’avocat aux sollicitations de sa clientèle. S’il s’agit d’un avocat catholique, nous pourrons dire qu’il amorce ainsi son devoir d’apostolat. Cet apostolat ne s’exerce pas nécessairement à l’endroit de clients chrétiens mais exprime un amour du prochain, acte par excellence de propagation de la foi chrétienne.

Dévouement et dignité étant indissociables, au risque de transformer le dévouement en obséquiosité, c’est tout naturellement que nous discutons à présent de l’obligation de dignité.

2.2. L’exécution de l’obligation de dignité rejoint le respect du bien commun de l’Eglise

En adoptant une attitude digne dans ses fonctions, l’avocat inspire le respect de son client et donne du respect à toutes les personnes concernées par une affaire. Ainsi, les plaidoiries ne doivent pas être constituées de mensonges. Il n’est pas nécessaire non plus d’en dire plus qu’il n’en faut malgré l’immunité de la défense.

L’avocat qui procède ainsi, protège les droits des tiers et c’est pourquoi cette exigence de dignité requise par la déontologie de l’avocat fait penser au canon 223 § 1 du code de droit canonique qui établit des limites aux fidèles dans l’exercice de leurs droits comme suit : « Dans l’exercice de leurs droits, les fidèles, (…) doivent tenir compte du bien commun de l’Eglise, ainsi que des droits des autres et devoirs qu’ils ont envers eux ».

Par conséquent, l’avocat digne se fera sans peine solidaire de l’Eglise, en temps et au moment opportun. Il en sera de même dans l’accomplissement du devoir de confraternité.

2.3. L’accomplissement total du devoir de confraternité prédispose à  l’obéissance chrétienne

Au-delà des luttes judiciaires de leurs clients, les avocats sont animés par un même idéal et attachés aux mêmes principes. Cela justifie le sentiment de solidarité qui les unit et l’intérêt pour eux d’avoir un ordre professionnel dont les organes (bâtonnier et Conseil de l’Ordre) les protègent et dont ils respectent les décisions. L’obéissance aux organes dirigeants de l’Ordre et le respect des textes et usages de la profession garantissent les traditions et la pérennité du barreau. Voilà brièvement tracé le contour du devoir de confraternité. Ce devoir fait penser, mutatis mutandis, au devoir d’obéissance du canon 212 du code de droit canonique. Par conséquent, un avocat laïc, confraternel dans l’exercice de sa profession est outillé pour être en communion avec son Eglise, le moment venu.

Le survol de trois des obligations d’avocat a permis de voir que les qualités d’avocat et de catholique sont parfaitement compatibles. Les avocats peuvent donc exercer leur apostolat en usant de leurs droits de chrétiens.

3.      La nécessité pour les avocats chrétiens d’exercer leurs droits de fidèles laïcs

En raison des difficultés de leur mission et pour donner vraiment corps à leur apostolat, les avocats catholiques feraient bien de partager leur cheminement avec d’autres fidèles, laïcs ou pasteurs sacrés, par les moyens et canaux qu’ils jugeraient utiles : un groupe de partage de la parole, des causeries avec d’autres avocats chrétiens, une participation avec d’autres professionnels à des activités encadrées par des chapelains, par exemple.

Par ailleurs, l’exercice du métier d’avocat est (peut être) un domaine de prédilection de l’éviction de la morale car cela comporte beaucoup de tentations : détournement de clientèle des confrères, violation du secret professionnel, détournement de fonds, corruption, etc. Alors, pour soutenir leur apostolat, les avocats chrétiens seraient bien avisés de solliciter l’aide spirituelle (secours de la Parole, sacrement de pénitence) des pasteurs sacrés qui sont à leur disposition.

Conclusion : les saints avocats

Au total, il n’est pas exagéré de dire qu’en raison de leurs règles professionnelles, les avocats sont objectivement des disciples naturels du Christ. C’est sans surprise que nous rappellerons que l’ancêtre des barreaux de tradition romano-germanique était dénommé Ordo et qu’il s’agissait d’un ordre clérical[8].

Dans tous les cas, les avocats catholiques peuvent et doivent s’engager sur le chemin de la sainteté surtout que leur rôle de défenseur des droits de l’homme leur ouvre un large champ d’apostolat « au service de la promotion intégrale de la personne et du bien commun »[9].

Ce chemin est bordé de saints avocats : S. Thomas More, certes saint patron des responsables de gouvernement et des hommes politiques, mais avocat avant d’être homme politique, avait déclaré, au moment de son exécution, mourir « en bon serviteur du Roi, et de Dieu en premier »[10] ; S. Salvy, quatrième évêque connu d’Albi, avocat avant d’être moine[11] .

Nous achevons nos propos sur les mots du bienheureux Jean-Paul II à l’occasion du septième centenaire de la mort de saint Yves (Yves Hélory de Kermartin), patron des avocats :

Les valeurs proposées par saint Yves demeurent un puissant stimulant pour notre temps, notamment dans l’Europe qui se construit. Serviteur de la justice, il invite les hommes de bonne volonté à bâtir un monde de paix, fondé sur le respect du droit et sur le service de la vérité. Défenseur des pauvres, cet avocat encourage les personnes et les peuples à mettre en œuvre la solidarité et l’équité, qui garantissent les droits des plus faibles dont sera pleinement reconnue la dignité inaliénable[12].

Elvire VIGNON

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

HAMELIN, Jacques, DAMIEN, André, Les règles de la profession d’avocat, Paris, Dalloz, 2000, 9e éd.

Le Concile Vatican II (1962-1965), préf. Giuseppe Alberigo, tr. Raymond Winling, Paris, Les Editions du Cerf, 2012, édition intégrale définitive

Code de droit canonique  1983, Montréal, 1990, Wilson & Lafleur Limitée, éd. bilingue et annotée

CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Note doctrinale concernant certaines questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique, 2002

FICHES DE LECTURE, Biographie de Thomas More, [article électronique], www.fichesdelecture.com/auteur/biographie/263-thomas-more

Saint Salvy Evêque d’Albi (+584), [article électronique], http://nominis.cef.fr/contenus/saint/1831/Saint-Salvy.html

Jean-Paul II, Discours aux pèlerins du diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier, 31 mai 2003, cité dans DAMIEN, André, « Saint Yves, patron des avocats », [article électronique], Esprit & Vie, Revue catholique de formation permanente, http://www.esprit-et-vie.com/breve.php3?id_breve=147


[1] Const. ap. Divinus perfectionis Magister 25 janvier 1983, Introduction, Appendice 1 du CIC/83 p. 1083, Montréal, 1990, Wilson & Lafleur Limitée, éd. bilingue et annotée.

[2] Cf. LG no 48 dans Le Concile Vatican II (1962-1965), préf. Giuseppe Alberigo, tr. Raymond Winling, Paris, Les Editions du Cerf, 2012, édition intégrale définitive,, p.143.

[3] Const. ap. Divinus…

[4] CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Note doctrinale concernant certaines questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique, 2002, no 1.

[5] Ibid., no 4.

[6] Ibid.

[7]  Loi n° 65-6 du 29 avril 1965 instituant le Barreau de la République du Bénin, article 21

[8] Cf. HAMELIN, Jacques, DAMIEN, André, Les règles de la profession d’avocat, Paris, Dalloz, 2000

[9] CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Note doctrinale …, no 6.

[10] FICHES DE LECTURE, Biographie de Thomas More, [article électronique], www.fichesdelecture.com/auteur/biographie/263-thomas-more.

[11] Saint Salvy Evêque d’Albi (+584), [article électronique], http://nominis.cef.fr/contenus/saint/1831/Saint-Salvy.html.

[12] Jean-Paul II, Discours aux pèlerins du diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier, 31 mai 2003, cité dans DAMIEN, André, « Saint Yves, patron des avocats », [article électronique], Esprit & Vie, Revue catholique de formation permanente, http://www.esprit-et-vie.com/breve.php3?id_breve=147.

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