L’arbitrage, la conciliation et la médiation sont inscrits dans nos gènes et plus sérieusement font partie de nos cultures, je veux parler de nos cultures, les vraies, les authentiques, les cultures négro-africaines.
Ces cultures, sont déjà présentes au troisième millénaire avant Jésus-Christ. Des expériences humaines en Afrique, il faudrait retenir que la médiation et la conciliation n’étaient pas conçues par défiance à la justice royale mais plutôt comme un mode préalable de règlement des conflits.

Les différentes instances du règlement des conflits
Les différentes instances du règlement des conflits étaient la famille, le quartier, le village ou la ville, la province, le royaume. Tout dirigeant, tout chef de ces entités, quel que soit son sexe, était automatiquement médiateur, autorisé à s’autosaisir ou à accueillir tout litige porté à son attention et impliquant un membre de la communauté qu’il/elle dirige. L’étaient aussi, pour les membres de la communauté à la tête de laquelle ils/elles se trouvent, les chefs des confréries religieuses, les chefs des corporations (castes) dirigeants des différentes associations qui maillent la société.
En fonction du degré de gravité du différend, le chef pouvait être assisté du conseil de la communauté.
La médiation, la conciliation
Le processus de médiation pouvait être enclenché de plusieurs manières notamment par le « droit d’asile ».
Dans les relations entre les communautés où le risque de conflit était latent, il existait des mécanismes de régulation pour anticiper et prévenir les tensions tels que celui de la parenté à plaisanterie. Bien évidemment la culture du vivre ensemble était encouragé par de multiples adages.
Lorsque les conflits opposaient des protagonistes venant de communautés différentes, il y avait alors une co-médiation par les chefs concernés.
« Le chemin qui mène à la paix n’est pas loin », « Il n’y a pas deux personnes qui ne s’entendent pas, il n’y a que deux personnes qui n’ont pas discuté ». « Dialoguer jusqu’à s’entendre » était donc le maître-mot mais il arrivait que l’on ne s’entende pas.
À défaut de règlement du litige au niveau requis, le conseil du village était saisi et l’affaire traitée sur la place publique. L’on changeait alors de mode, l’on passait de la médiation ou de la conciliation au procès.
Le procès
Le procès était du ressort des autorités publiques, les litigants non satisfaits pouvaient en appeler en niveau le plus élevé jusqu’à la juridiction suprême qui seule pouvait juger en dernier ressort.
Trancher un litige revenait à appliquer la règle de Maât c’est-à-dire la règle du juste et du vrai, notions envisagées comme étant indissociables. Écoutons plutôt la définition qu’en donne Siegfried MORENZ, citée et traduite par Henri DECŒUR :
« Maât est l’état juste des choses mis en place par l’acte de la création dans la nature et la société, et par extension respectivement la rectitude, la justesse, et le droit, l’ordre, l’équité et la vérité. Il importe de préserver ou d’établir cet état de fait en tout lieu et en toute proportion, afin que Maât, posée à l’origine en tant qu’ordre juste, devienne la finalité et le devoir de toute activité humaine. Mais lorsque la maât est donnée à l’individu agissant dans ce sens, elle se présente à lui sous la forme du droit et de la justice en tant que promesse et récompense[i]. »
Siegfried MORENZ estime que ce concept est cardinal pour qui veut comprendre les sociétés négro-africaines en commençant par la société pharaonique. Ce concept montre que chacun est censé vivre de façon à perpétuer l’ordre bon fixé à la Création. Vivre autrement perturbe l’ordre naturel des choses et est source de désordre et de déséquilibre. C’est pourquoi, suivant la belle formule d’Henri DECOEUR, « Maât est donc pleinement un principe juridique, établissant une norme dans un objectif de cohésion sociale et reposant sur l’adhésion de ses destinataires[ii] ».
La mission du juge, de l’arbitre
C’est animé de ce principe juridique, par amour et respect de la Maât que l’arbitre juge (arbitre et juge sont désignés par le même mot) en recherchant la vérité telle qu’il peut la cerner.
Le juge n’a pas pour tâche de dire le droit mais de dire la vérité et de statuer en équité. Non pas qu’il n’y avait pas de codes et lois en Égypte. Il y en avait et les huit volumes de lois étaient des repères qui pouvaient être écartés lorsque cela se révélait inadéquat pour la cause pendante.
La tâche du juge dans la culture juridique négro-africaine est alors similaire à celle de l’arbitre amiable compositeur qui permet à l’arbitre d’écarter, le cas échéant, les règles de droit en vue d’une solution plus juste adaptée aux circonstances de l’espèce.
Ce qui l’on attend du juge ou de l’arbitre, « c’est qu’il mette chacun en face de ses responsabilités et oblige ceux qui ont commis des actes repréhensibles à le reconnaître publiquement, à demander pardon et à accepter la sanction. Vérité d’abord, réparation ensuite et réconciliation enfin, constitue le trépied sur lequel repose la justice traditionnelle ».
Il arrive cependant que la vérité soit difficile à démêler et dans ce cas-là, les juges s’en réfèrent à l’autorité supérieure et au savoir infaillible des forces de l’Invisible. Le « vrai révélé » le sera alors par le recours aux ordalies ou aux lumières d’un devin et donnera lieu à une sentence sans recours.
Parler et juger selon Maât s’est poursuivi à travers les millénaires en passant par l’Empire du Ghana et l’Empire du Mali jusqu’à leurs destructions respectives au 10ème et au 17ème siècle, a survécu à l’ère coloniale, même si les juristes de cet espace négro-africain ont été pétris à la culture romano-germanique.
Aujourd’hui…
Le passé nous aide à mieux bâtir le présent. L’incursion que nous avons faite dans nos cultures négro-africaines nous montre que les MARC (modes alternatifs de règlement des conflits) sont pour nous les africains, plutôt des MARC (modes africains de règlement des conflits). En les intégrant à notre système juridictionnel ou en les utilisant pour construire la paix, nous n’utilisons pas des pièces rapportées mais valorisons notre propre culture.
Pour écrire cet article, je me suis largement inspirée d’un article intitulé « Arbitrage et médiation dans les cultures juridiques négro-africaines : entre la prédisposition à dénouer et la mission de trancher« publié par Fatou Camara[iii] et Abdoullah CISSE[iv] notamment dans la Revue de l’Arbitrage, Bulletin du Comité français de l’Arbitrage, 2009.
Si vous souhaitez en lire davantage, je vous prie de vous référer sur ce blog, à l’article intitulé « Les modes alternatifs de règlement des conflits en Afrique : défi ou évolution de la justice classique ».
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Cotonou, le 07 novembre 2017
Elvire VIGNON, Avocate honoraire, Arbitre et Médiatrice
[i] DECOEUR, Henri, Maât, entre cosmologie et mythe : le principe constitutionnel d’un État de racine chtonienne en ancienne Égypte [article électronique], https://ssl.editionsthemis.com/uploaded/revue/article/16356_45-2_Decoeur.pdf
[ii] Ibid.
[iii] Docteure d’Etat en droit, chargée d’enseignement, Faculté des Sciences Juridiques et Politiques, Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
[iv] Professeur aux universités Gaston Berger de Saint-Louis et Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal).