Les États bien gouvernés peuvent s’engager dans une procédure d’arbitrage, en toute sécurité

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Le nouvel acte uniforme sur le droit de l’arbitrage, adopté seulement le 23 novembre 2017, a confirmé et remarquablement souligné la cohérence avec le traité OHADA, en clarifiant les sujets et l’objet de l’arbitrage. En effet, l’article 2 a été réécrit en étendant le recours à l’arbitrage à « toute autre personne morale de droit public », « quelle que soit la nature juridique du contrat ». Les débats sur la « justiciabilité » des États (débats qui n’auraient pas dû être puisque depuis 1999, les États OHADA étaient déjà justiciables) ou sur l’arbitrabilité des différends concernant les contrats de droit public devraient tarir progressivement.

Oui, le Conseil des Ministres a été cohérent parce que les États ont affirmé depuis 1994 qu’ils étaient « désireux de promouvoir l’arbitrage comme instrument de règlement des différends contractuels » (préambule du traité de l’OHADA), puis avaient, subséquemment, adopté en 1999, l’acte uniforme sur le droit de l’arbitrage suivant lequel ils ont édicté que « les États (…) peuvent également être parties à un arbitrage ».

Le nouvel article 2 est libellé comme suit :

« Toute personne physique ou morale peut recourir à l’arbitrage sur les droits dont elle a la libre disposition. Les Etats, les autres collectivités publiques territoriales, les Etablissements publics et toute autre personne morale de droit public peuvent également être parties à un arbitrage, quelle que soit la nature juridique du contrat, sans pouvoir invoquer leur propre droit pour contester l’arbitrabilité d’un différend, leur capacité à compromettre ou la validité de la convention d’arbitrage ».

Et renforcé par l’article 3 :

« L’arbitrage peut être fondé sur une convention d’arbitrage ou sur un instrument relatif aux investissements, notamment un code des investissements ou un traité bilatéral ou multilatéral relatif aux investissements ».

Il reste aux États à tirer le meilleur parti de l’arbitrage. Il y a au moins deux choses à faire pour y parvenir : oublier un certain discours et faire preuve de bonne gouvernance.Sentence

Le discours à oublier

Le discours à oublier est celui qui insiste sur la défiance en la justice étatique comme cause du recours à l’arbitrage. Ce discours fondé sur la défiance, nous vient de la lointaine Amérique qui a communiqué ce motif à la civilisation juridique romano-germanique (dont nous avons hérité) en activant fort l’arbitrage. Mais les États fondateurs de l’OHADA ne se sont pas fondés sur cette défiance pour promouvoir l’arbitrage.

En réalité, par son discours, l’Amérique a réveillé l’arbitrage inscrit dans notre conscience collective en sommeil. En effet, l’arbitrage, la conciliation et la médiation, aujourd’hui présentés comme des modes alternatifs de règlement des conflits sont, pour les civilisations négro-africaines, des modes africains de règlement des conflits. En y recourant, nous valorisons en fait nos cultures. Je vous prie de vous reporter sur ce sujet, à mes articles publiés sur ce même blog et intitulés : « Les modes alternatifs de règlement des conflits en Afrique : défi ou évolution de la justice classique » et « En préférant l’arbitrage, la médiation et la conciliation, les africains valorisent leurs cultures ».

Dans tous les cas, le discours fondé sur la défiance est dépassé car l’arbitrage a des avantages intrinsèques : la confidentialité qui permet de sauvegarder l’image des parties, la maîtrise des compétences ainsi que des délais et du coût, tout en garantissant dans une grande convivialité, les principes directeurs du procès étatique.

Cela dit, la maîtrise de l’arbitrage par un État dépend de la qualité de sa gouvernance.

Une meilleure gouvernance

Plus la gouvernance d’un État est bonne, mieux l’État sera paré et mieux les procédures seront gérées.

Lettres d'arbitrage

Les États seront mieux parés si les gouvernants ont conscience que :

  1. Ils ne sont pas obligés de conclure des conventions d’arbitrage. Pour en apprécier l’opportunité, ils doivent se faire assister d’avocats et de professionnels du droit dès la discussion de tout contrat ; à cette occasion, il sera déterminé laquelle des différentes clauses de règlement de différends est la plus adéquate pour le projet de contrat en discussion si bien que l’insertion d’une clause compromissoire sera faite en toute connaissance de cause.
  2. Ils doivent se faire assister d’avocats et de professionnels du droit lors de la discussion de tout traité d’investissement.

S’il n’est pas possible de tout prévoir – laissant ainsi la place à l’interprétation ou à l’analyse juridique – les avocats et professionnels du droit sauront rechercher les actes juridiques unilatéraux des États et toutes les conventions juridiques préexistants en vue d’assurer les cohérences nécessaires ou les ponts adéquats avec le projet de compromis d’arbitrage ou avec le projet de contrat appelé à recevoir une clause compromissoire.

Pour que les procédures d’arbitrage soient mieux gérées :

  1. Les administrations des États ne doivent pas classer purement et simplement les demandes de mise en œuvre d’arbitrage mais doivent plutôt les transmettre à leurs avocats.
  2. Les États doivent se faire assister d’avocats ou de conseils en arbitrage lorsqu’ils engagent une procédure d’arbitrage ou se défendent.
  3. Les États doivent, assistés d’avocats ou de conseils en arbitrage, attacher un grand prix à la sélection d’arbitres compétents pour l’objet du différend, indépendants, impartiaux et disponibles ; de la qualité des arbitres, dépend en grande partie la qualité de l’arbitrage et de la sentence rendue.

L’on m’objectera que malgré toutes ces précautions, l’État peut être exposé à de lourdes condamnations. Oui, cela peut arriver. Cependant, il faudrait savoir que les condamnations dépendent de divers facteurs dont la nature de l’affaire et le degré de responsabilité de l’État condamné, dans la survenance du litige tranché. Il faudrait aussi savoir qu’une sentence peut être bien ou mal fondée. Ce serait bien regrettable qu’une sentence soit mal fondée. Il arrive également que les jugements étatiques le soient et cela est tout aussi regrettable. Ce n’est quand même pas une raison pour oublier toutes les sentences bien rendues, bien fondées et qui ne font pas de vagues. C’est le cas de la majorité des sentences. Ces sentences sont silencieuses comme les avions et les trains qui arrivent à l’heure.

Si les lourdes condamnations ne riment pas nécessairement avec injustice, elles ne sont pas l’apanage des arbitrages, les décisions de justice étatique regorgent d’exemples. En outre, les « victimes » des lourdes condamnations peuvent être aussi des entreprises privées. Lorsqu’il s’agit d’entreprises privées, les conséquences peuvent être plus désastreuses que pour les États car cela peut se traduire par la mort des entreprises.

Je pense néanmoins qu’une défense présente et bien assurée devant un tribunal arbitral permettrait certainement d’augmenter les chances d’obtenir des condamnations justes.

Alors, devinette, quel est le secret pour qu’un État aborde bien une procédure d’arbitrage ? Réponse : la bonne gouvernance. Et paraphrasant un dicton populaire, je conclurai, à présent, en disant : à chacun son métier et l’État sera bien protégé.

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Cotonou, le 29 novembre 2017

Elvire VIGNON, Avocate honoraire, Arbitre et Médiatrice

Centre EV Arbitrage & Médiation, Cotonou, Bénin

#Arbitrage #Médiation #Litige #Conflit #Différend #Paix #Sérénité #EVArbitrageMédiation

2 commentaires

  1. Les collectivités territoriales ont-elles les compétences nécessaires pour apprécier l’opportunité d’une Clause d’arbitrage ? Si l’Etat ne met pas en place un mécanisme de coordination ou de supervision des contrats conclus tant par les collectivités territoriales que par les établissements publics, le business juridique continuera son développement au détriment de la noblesse ou de l’efficacité des ADR. L’Etat n’aime pas, me semble-t-il, l’arbitrage contrairement aux collectivités territoriales et entreprises publiques tant qu’il s’agit de la condition pour obtenir un financement au profit de ces dernières. L’arbitrage est donc une institution qui mériterait une politique profonde sur ses enjeux pour en tirer un meilleur parti. Je peux me tromper.

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    1. Je vous remercie pour votre courriel. Le débat pour les Etats est à peu près le même que pour les collectivités territoriales. Ma foi, si elles sont bien gouvernées, elles tireront le meilleur parti de l’arbitrage.
      Le mécanisme de coordination dont vous parlez n’est pas lié à l’arbitrage mais à l’organisation de l’Administration. L’organisation, c’est la gouvernance. Si la gouvernance est de bonne qualité, le règlement des différends, y compris l’arbitrage, sera également de bonne qualité. Les gouvernants publics doivent davantage recourir aux professionnels et les professionnels doivent mieux se faire connaître par une publicité fonctionnelle.
      En termes clairs, ce n’est pas l’arbitrage qui est en cause mais la gestion qui en est faite par des justiciables qui n’en connaissent pas les contours.
      Merci encore

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