Bien rédiger la convention d’arbitrage pour profiter au mieux des avantages de l’arbitrage

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En octobre 2013, une société commerciale avait attrait une autre devant le Tribunal de première Instance de Cotonou alors que ces deux sociétés étaient liées par une clause compromissoire.

La clause compromissoire d’un contrat signifie que les cocontractants ont convenu de recourir à l’arbitrage pour régler leurs différends éventuels. En l’espèce, la clause jugée était libellée comme suit :

« Le présent accord et la relation des parties par rapport à l’objet du présent accord et la relation de l’une envers l’autre sont régis et déterminés conformément aux lois de la République du Bénin.

« Toute controverse ou différend né du et relatif au présent accord ou toute violation du présent accord qui ne peut pas être réglé de façon satisfaisante par les deux parties est réglé par arbitrage conformément aux règles et lois de l’arbitrage de l’OHADA.

« En cas d’échec, les parties se réfèrent à la Cour de Cotonou ».

L’arbitre n’avait pas encore était saisi. Dans ce cas, la loi (art. 13 AUA en vigueur à l’époque des faits) édicte que « … si l’une des parties en fait la demande (…) la juridiction étatique doit également se déclarer incompétente à moins que la convention d’arbitrage ne soit manifestement nulle ». En d’autres termes, la loi donne priorité à l’arbitrage sauf en cas de nullité manifeste de la convention d’arbitrage. La société poursuivie avait alors soulevé une exception d’incompétence c’est-à-dire qu’elle avait demandé au tribunal de se déclarer incompétent.

Le 07 juillet 2014, le tribunal s’était déclaré compétent, après avoir jugé ladite clause, ambiguë et non valide.  Ce jugement contrevient à la loi puisque l’unique condition de compétence du juge étatique, dans ce cas, est la nullité manifeste de la clause compromissoire. Nullité manifeste. Pas ambiguïté manifeste. En français facile comme en français juridique, l’adjectif manifeste signifie évident, « en soi très apparent, patent, qui se révèle de lui-même et de façon très visible » (Cf. Vocabulaire juridique, Association, Henri Capitant, QUADRIGE/PUF, 8ème édition, Paris, 2007).

L’évidence ou l’apparence se constate ; l’évidence ou l’apparence est « très visible » et ne saurait résulter d’une interprétation. Or il a fallu une page entière (papier 21 cm x 29,7 cm) au juge du Tribunal de première Instance de Cotonou non pas pour constater la nullité manifeste de la clause mais pour démontrer l’ambiguïté de la clause et justifier son invalidation. Il était donc manifeste qu’il n’y avait pas de nullité manifeste.

Maillet

La Cour d’Appel de Cotonou a rétabli le droit, le … 07 septembre 2016, en constatant l’absence de nullité manifeste de la clause et en disant que « l’examen substantiel et approfondi de ladite clause échappe aux juridictions étatiques ».

Je ne vais quand même pas vous quitter, pour cet article, sans suggérer des exemples de clauses d’arbitrage manifestement nulles. Serait manifestement nulle au Bénin, une clause d’arbitrage :

  • qui porterait sur une matière non arbitrable comme une demande de divorce ;
  • qui serait fondée sur une convention relative à des choses ou transactions qui sont hors du commerce, par exemple la vente de tombeaux, la traite d’enfants ou plus généralement de personnes.

Si la clause, objet de notre attention, n’était pas manifestement nulle, le moins que l’on puisse dire est qu’elle était fort ambiguë. Dans cette clause compromissoire, véritablement constituée par le deuxième et le troisième alinéas de la clause soumise au juge étatique, on y voit que les parties ont convenu d’un escalier de règlement de leurs différends éventuels (clause escalatoire, diraient les Québécois). La première marche de l’escalier devrait être une tentative de règlement direct entre les parties, l’arbitrage serait la deuxième marche, le cas échéant et, en cas d’échec de l’arbitrage, elles graviraient la troisième marche, celle de la « Cour de Cotonou ».

La volonté de recourir à l’arbitrage est clairement exprimée par les parties. Cependant, les difficultés de mise en œuvre sont patentes. Arbitrage ad hoc ? Arbitrage institutionnel ? Si institutionnel, devant quel centre d’arbitrage ? La voie est ouverte pour les manœuvres dilatoires et elles sont légion, ces manœuvres.

Par ailleurs, le troisième alinéa contredit-il le deuxième ? Mais quel est le sens de ce troisième alinéa ? Quel sens donner à « échec de l’arbitrage » ? Le juge étatique croit y lire la volonté des parties de « recourir à la fois à un arbitrage et à un juge étatique pour le règlement de leur litige alors qu’aucune disposition légale ne leur confère ce droit de double choix« . Mais se pourrait-il que les parties aient pensé plutôt à l’inexécution de la sentence arbitrale rendue ? Ont-elles voulu entendre l’échec de l’arbitrage comme un arbitrage qui n’arrive pas à démarrer en raison de diverses tentatives de blocage ou de manœuvres dilatoires de l’une d’entre elles, ce qui les amènerait à recourir à « la Cour de Cotonou »? Il resterait à déterminer « la Cour de Cotonou » : autre question en suspens.

Comme on le voit, il y a manifestement (décidément !) des difficultés à décrypter l’exacte volonté des parties. Une clause compromissoire affectée de telles difficultés est qualifiée de clause pathologique.

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La pathologie résulte d’une mauvaise qualité de rédaction qui peut provenir de plusieurs causes. La mauvaise connaissance du fonctionnement et des règles de l’arbitrage est une des causes. La pathologie est encore plus compliquée lorsque les parties confondent les modes de règlement des différends.

Vous voyez, il a fallu trois ans pour que le procès sur la clause d’arbitrage soit tranché ! Pour éviter ces pertes de temps inutiles, il est important que les parties aient une conscience nette de leurs besoins : une expertise, une médiation, une conciliation, un arbitrage, un juge étatique, un médiateur, un arbitre, un arbitre médiateur ? Chères lectrices, chers lecteurs, pour en avoir une idée, vous pourriez vous reporter à cet article déjà publié sur ce blog mais surtout n’oubliez pas que les professionnels du droit notamment les avocats et les notaires vous aideront à bien cerner vos besoins et vous proposeront des clauses ou des conventions adéquates.

Des modèles de conventions d’arbitrage ci-liés sont à votre disposition sur ce blog.

Éloignons-nous à présent des pathologies pour rappeler que la clause compromissoire est une des deux formes de la convention d’arbitrage prévues par l’acte uniforme de l’OHADA sur l’arbitrage entré en vigueur le 15 mars 2018. La seconde forme est le compromis. L’un des critères de distinction de ces deux types de conventions d’arbitrage réside dans le moment de la conclusion. Le premier est conclu avant la naissance du litige, l’autre après. Est-ce un progrès par rapport à l’acte uniforme abrogé qui ne faisait pas cette distinction et se contentait de la convention d’arbitrage, sans autre précision, comme fondement de l’arbitrage?  Je ne sais pas. Dans tous les cas, cela permet de raccorder cet acte uniforme à l’article 21 du traité de l’OHADA en en définissant les termes, termes au demeurant connus des arbitres et des professionnels du droit.

 

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Cotonou, le 09 juin 2018

Elvire VIGNON, Avocate honoraire, Arbitre et Médiatrice

Centre EV Arbitrage & Médiation, Cotonou, Bénin

Un commentaire

  1. Très intéressante analyse Maître!. A mon sens, les questions des modes alternatifs de règlement de conflit ou de différent, et même de conciliation semble être très peu connues et abordées au Bénin et dans la sous région. De nature à ce qu elle parait nouveau.

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